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.« Fichtre! monsieur Brusch, vous n êtes pas gai, ce matin. On a ses jours, monsieur Jaeger, répondit le pêcheur.Mais que cela ne vous empêche pas de vous amuser le mieuxpossible. Je tâcherai, monsieur Brusch », répondit Karl Dragochen s éloignant.À travers le Prater, il alla rejoindre la Haupt-Allée,98rendez-vous des élégances viennoises pendant la saison.Mais, à cette époque de l année, et à cette heure, la Haupt-Allée était presque déserte et il put hâter le pas sans être gênépar la foule.Il y avait, toutefois, assez de monde pour que sonattention ne fût pas attirée par deux promeneurs qu il croisa,en même temps que plusieurs autres, comme il arrivait à lahauteur du Constantins Hugel, colline artificielle dont on ajugé bon de varier la perspective du Prater.Sans s occuper deces deux promeneurs, Karl Dragoch continua tranquillementsa route, et, dix minutes plus tard, il entrait dans un petit cafédu rond-point du Prater, le Prater Stern en allemand.Il y étaitattendu.Un consommateur déjà attablé se leva, enl apercevant, et vint à sa rencontre.« Bonjour, Ulhmann, dit Karl Dragoch. Bonjour, Monsieur, répondit Friedrich Ulhmann. Toujours rien de neuf? Toujours rien. C est bon.Cette fois, nous pouvons disposer de lajournée et convenir mûrement de ce que nous devons faire.»Si Karl Dragoch n avait pas remarqué les deuxpromeneurs de la Haupt-Allée, ceux-ci les mêmes individusque le hasard avait conduits, la veille, près de la barge d IliaBrusch l avaient parfaitement vu, au contraire.D un mêmemouvement ils avaient fait volte-face, après le passage duchef de la police danubienne, et l avaient suivi, en gardantune distance suffisante pour éviter toute surprise.QuandDragoch eut disparu dans le petit café, ils entrèrent dans unétablissement semblable situé vis-à-vis du premier, de l autrecôté du rond-point, résolus à rester, s il le fallait, toute la99journée en embuscade.Leur patience fut mise à l épreuve.Après avoir consacréplusieurs heures à convenir dans le détail de leurs faits etgestes, Dragoch et Ulhmann déjeunèrent sans se presser.Leur déjeuner terminé, désireux d échapper à l atmosphèreétouffante de la salle, ils se firent servir à l air libre la tassede café devenue le complément indispensable de tout repas.Ils étaient en train de la savourer, quand Dragoch fit soudainun geste d étonnement et, comme désireux de n être pasreconnu, rentra rapidement dans l intérieur du restaurant,d où, à travers les rideaux du vitrage, il surveilla un hommequi traversait la place en ce moment.« C est lui, Dieu me pardonne! » murmura Dragoch, ensuivant des yeux Ilia Brusch.C était Ilia Brusch, en effet, bien reconnaissable à safigure rasée, à ses lunettes et à ses cheveux noirs commeceux d un Italien du Sud.Quand celui-ci se fut engagé dans la Kaiser-Josephstrasse,Dragoch vint rejoindre Ulhmann demeuré sur la terrasse, luiintima l ordre de l attendre autant qu il serait nécessaire, ets élança sur les traces du pêcheur.Ilia Brusch marchait, sans songer à se retourner, avec lecalme d une conscience paisible.D un pas tranquille, ilmarcha jusqu au bout de la Kaiser-Josephstrasse, puis, endroite ligne, à travers le parc de l Augarten, il arriva à laBrigittenau.Quelques instants, il parut alors hésiter, etpénétra finalement dans une échoppe de sordide apparenceouvrant sa pauvre devanture dans l une des plus misérablesrues de ce quartier ouvrier.Une demi-heure plus tard il ressortait.Toujours filé, sans100le savoir, par Karl Dragoch, qui ne manqua pas en passant delire l enseigne de la boutique où son compagnon de voyagevenait de s arrêter, il prit la Rembrandtgasse, puis, remontantla rive gauche du canal, atteignit la Praterstrasse, qu il suivitjusqu au rond-point.Là, il tourna délibérément à droite ets éloigna par la Haupt-Allée, sous les arbres du Prater.Ilrentrait évidemment à bord de la barge, et Karl Dragochjugea inutile de continuer plus longtemps sa filature.Celui-ci revint donc au petit café, devant lequel FriedrichUlhmann l avait fidèlement attendu.« Connais-tu un juif du nom de Simon Klein? demanda-t-il en l abordant. Certainement, répondit Ulhmann. Qu est-ce que c est que ce juif? Pas grand chose de bon.Brocanteur, usurier, au besoinreceleur, je crois que ces trois mots le peignent du haut enbas. C est bien ce que je pensais », murmura Dragoch, quiparaissait plongé en de profondes réflexions.Après un instant, il reprit :« Combien d hommes avons-nous ici? Une quarantaine, répondit Ulhmann. C est suffisant.Écoute-moi bien.Il faut faire table rasede ce que nous avons dit ce matin.Je change mon plan, car,plus je vais, plus j ai le pressentiment que l affaire arriveraprès de l endroit, quel qu il soit, où je serai moi-même. Où vous serez?.Je ne comprends pas. C est inutile.Tu échelonneras tes hommes, deux pardeux, sur la rive gauche du Danube de cinq en cinq101kilomètres, en commençant à vingt kilomètres au delà dePresbourg.Leur mission unique sera de me surveiller.Aussitôt que le dernier échelon m aura aperçu, les deuxhommes qui le composent se hâteront d aller cinq kilomètresen avant du premier, et ainsi de suite.C est compris?.Qu ilsne me manquent pas surtout! Et moi? interrogea Ulhmann. Toi, tu t arrangeras pour ne pas me perdre de vue.Comme je suis dans une barque, au beau milieu du fleuve, cen est pas très difficile.Pour tes hommes, qu ils prennent,bien entendu, en montant leur faction, tous lesrenseignements possibles.En cas de besoin, le poste informéd un événement grave avisera les autres, dont il sera le pointde concentration. Compris. Qu on se mette en route dès ce soir, et que demain jetrouve tes hommes à leur poste. Ils y seront », dit Ulhmann.Par deux et trois fois Karl Dragoch exposa son plan, sansse lasser, jusqu au moment où, certain d avoir étéparfaitement saisi par son subordonné, il se décida, l heureavançant, à regagner la barge.Dans le petit café, de l autre côté de la place, les deuxpromeneurs du Prater n avaient pas interrompu leurespionnage.Ils avaient vu Dragoch sortir, sans en soupçonnerla raison, Ilia Brusch n ayant pas plus attiré leur attention quene l aurait fait tout autre passant.Leur premier mouvementavait été de se lancer à sa poursuite, mais la présence deFriedrich Ulhmann les en avait empêchés.Rassurés,d ailleurs, par l attente de celui-ci, ils avaient eux-mêmes102attendu, convaincus qu ils ne tarderaient pas à voir revenirKarl Dragoch.Le retour du détective prouva qu ils avaient justementraisonné, et, quand le détective disparut avec Ulhmann dansl intérieur du café, ils restèrent aux aguets, jusqu au momentoù se séparèrent le chef de police et son subordonné.Laissant ce dernier remonter vers le centre, les deuxacolytes s attachèrent de nouveau à Karl Dragoch, etredescendirent à sa suite la Haupt-Allée, qu ils avaient suiviele matin même en sens contraire.Après trois quarts d heurede marche, ils s arrêtèrent.La ligne d arbres bordant la bergedu Danube apparaissait alors.Il ne pouvait être douteux queDragoch regagnât son embarcation.« Inutile d aller plus loin, dit le plus jeune.Nous sommesfixés, maintenant
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